La Poste 100% Tracing avec Anne-Lorraine Lacrépinière
Anne-Lorraine Lacrépinière a mené tambour battant une expérience positive de transformation des organisations en mettant en place le projet 100% Tracing du Groupe La Poste.
Face à une érosion rapide des usages du courrier et une forte évolution des attentes utilisateurs, La Poste, imprégnée d’une grande culture de service public, se fixe pour objectif de tracer l’ensemble du courrier et de réaliser une transformation des organisations.
L’objectif fixé semble inatteignable quand seuls 450 millions de courriers sur les 16 milliards transportés sont munis de codes barres. Ceux-ci ne sont suivis que lors des tournées et le tri de ces 450 millions de plis ne s’effectue que manuellement !
AGEELINK : Quel a été votre constat sur l’état du projet à votre arrivée au sein du Groupe La Poste ?
Anne-Lorraine Lacrépinière : Lors de mon arrivée le projet fait débat entre les 9 directions concernées, chacune ayant ses enjeux, ses contraintes, et cherchant à infléchir la transformation des organisations dans le sens qu’elle juge optimal pour elle.
AGEELINK : Quelle a été votre démarche à ce moment pour la transformation des organisations ?
Anne-Lorraine Lacrépinière : Plutôt que chercher dans un diagnostic détaillé des arguments d’arbitrage, nous avons, au nom de la simplicité, orienté les équipes vers la recherche d’un optimum global. Tous prennent alors vite conscience que c’est très différent et beaucoup plus simple que la somme des optima imaginés par chacun.
Lors de cette transformation des organisations, j’ai vécu un moment fondateur lorsqu’en réunion avec une vingtaine de collègues, une conclusion s’est imposée à tous, que je pourrais formuler ainsi :
« On n’est pas parfaits … Mais si on est tous d’accord pour y aller ensemble on peut y arriver. »
Cette dédramatisation du projet a impulsé une dynamique vertueuse qui a permis de débloquer l’organisation face à l’enjeu du 100% du courrier tracé.
Les acteurs se sont mobilisés spontanément et sans contrainte pour travailler en méthodes agiles et mettre en œuvre cette transformation des organisations.
AGEELINK : Quels ont été vos outils de travail une fois ce premier déblocage obtenu ?
Anne-Lorraine Lacrépinière : Les outils classiques de la gestion de projets, acquis en tant que consultante au sein de cabinets agiles avant la lettre comme Bossard puis Cap Gemini.
Et j’ai également pu m’appuyer sur la culture du Groupe La Poste, celle du service : c’est cette combinaison qui a créé de la dynamique.
AGEELINK : Justement, quel biais dans la culture d’entreprise avez-vous rencontrés ?
Anne-Lorraine Lacrépinière : Le Groupe La Poste est une structure avec à la fois une forte culture d’experts, et un très grand souci du service dans ses aspects les plus concrets. Tous ont en permanence à l’esprit la question : quel impact sur le travail du facteur ?
Si l’expertise pousse à la complexité, le souci du service pousse, lui, à la simplification. C’est cette simplification qui doit finalement l’emporter. Avec l’équipe on se disait qu’« on aurait réussi le projet si à la fin, tout le monde se demandait pourquoi on avait passé autant de temps sur un sujet aussi simple. »
AGEELINK : Et par rapport aux enjeux sur le “tout connecté” ?
Anne-Lorraine Lacrépinière : Nous avons constaté ensemble que tout connecter en même temps que sortir les offres menait à un projet extrêmement complexe, avec trop de dépendances qui faisaient que chaque retard en entraînait d’autres, ce qui nous menait droit au projet infini.
Nous avons alors beaucoup travaillé à décorréler toutes les avancées imaginées (par type de produit, par type de site, par géographie, par rapport aux déploiements des autres projets, suivant le matériel à installer…), pour que chacune soit indépendante des autres et mène à des situations gérables.
AGEELINK : Quelles ont été vos guidelines dans la transformation des organisations ?
Anne-Lorraine Lacrépinière :
- C’est « 100% tracing » : c’est une ambition plus qu’un objectif, on peut toujours tracer plus et mieux. Tout ce qui va contre cette cible est interdit
- C’est « pas cher » : il s’agit uniquement de l’industrialisation du process
- C’est un « plus pour le client » : cela apporte un élément de différenciation
- Le « jetable et pas cher » était autorisé pour décorréler les avancées
Tous ces éléments ont favorisé l’ouverture des équipes à l’émergence : mis à part le calendrier de base pour certaines offres, l’ordre dans lequel les avancées étaient faites n’était plus très important. En conséquence, les avancées faciles qui apparaissaient étaient attrapées au vol, même si rien n’avait été prévu au départ sur le sujet.
Nous gardions constamment à l’esprit que le process pour les facteurs doit être simple. Il doit avoir une seule alternative : sonner ou mettre dans la boîte, et s’il sonne la marche à suivre doit être sur le pli ou sur l’objet à remettre.
AGEELINK : Quels ont été vos mots clés ?
Anne-Lorraine Lacrépinière : A posteriori j’ai constaté que nous avons travaillé avec cette transformation des organisations, sur les mêmes leviers que ceux décrits par Frédéric Laloux dans son « Reinventing Organizations” :
- une ambition qui nous dépasse
- un abandon des postures
- une « presque auto-organisation ».
Nous avons déjà parlé de l’ambition qui favorise l’émergence.
L’abandon des postures a été obtenu par quelques règles simples :
- Invalidité de l’argument d’autorité : on ne peut pas dire « je veux … parce que je suis le marketing » et on remplace le « c’est impossible de » par « comment on fait pour »
- Autorisation de challenge de n’importe quelle décision par n’importe quel membre de l’équipe, pour peu qu’il ait un argument valable donc factuel
- Toute décision s’applique tant qu’aucun argument valable – donc factuel – ne vient la remettre en question
- Chacun comprend le métier de l’autre : les plus « SI » ont expliqué leur architecture et mode de fonctionnement jusqu’au marketing et aux utilisateurs clefs, et ils tous sont allés sur site à 6h du matin voir comment se passait le travail des facteurs.
- Centrage du poste mais pas des frontières : chacun respecte le rôle de l’autre qui est clair mais le comprend et peut le challenger
Pour la « presque auto-organisation », nous étions plutôt sur le principe de subsidiarité : chaque décision doit être prise par la plus petite entité qui est capable de la prendre.
Au fil de l’intégration des enjeux par chacun, le niveau de délégation est monté : au début, de nombreuses décisions remontaient au niveau du Comex du Courrier, puis la plupart des décisions sont restée au niveau de l’équipe concernée.
Par exemple, un membre de l’équipe a eu vent qu’un client qui recevait beaucoup de lettres recommandées demandait des procédures complexes pour valider la réception, il a demandé aux développeurs de développer un petit module pour lui permettre de flasher ses plis, et ce n’est passé dans aucune instance de décision : ça allait dans le bon sens de la cible, et ce n’était pas cher…
Le sujet a juste été abordé pour partage dans notre réunion d’équipe qui était transformée en atelier de travail. Le seul formalisme est que chacun présente ce qu’il a réalisé, ce qu’il va faire, ses réussites et ses points durs, c’est-à-dire ceux qu’il ne peut pas résoudre seul.
Quand le sujet peut être traité de manière autonome la personne « fait » et elle célèbre ses actions réalisées avec l’équipe.
Pour les points durs, l’objectif est de commencer à réfléchir ensemble au point dur pour dégager les bonnes pistes d’action. Les premiers impactés sont tous présents en réunion, depuis le marketing jusqu’à l’exploitation SI. Vu la diversité des sujets, tous ont tous le droit de travailler sur leur ordinateur s’ils ne sont pas sollicités pour un point.
AGEELINK : Et en termes de résultats pour le Groupe la Poste?
Anne-Lorraine Lacrépinière : On n’aurait pas fait la même chose si on avait eu plus de moyen, cette méthode de projet a permis de réaliser des économies importantes pour le Groupe la Poste.
Nous avons préparé la venue du smartphone pour chaque facteur, De nouvelles offres sont sorties, nous avons réduit les coûts de traitement, nous avons augmenté l’information donnée au client.
AGEELINK : Des points durs ?
Anne-Lorraine Lacrépinière : La cohésion autour du projet requiert un niveau d’énergie important : chacun dans l’équipe se sent partie prenante de tout dysfonctionnement et à aucun moment on ne peut dire “ce n’est pas moi, c’est l’autre”.
Le projet est difficile à lire à l’extérieur du périmètre car il y a peu d’écrits autour du projet il y a du “faire”.
Un autre point dur : une fois la transformation des organisations initiée, il est presque insupportable de revenir à des méthodes de travail hiérarchiques conventionnelles.
Par contre les utilisateurs s’y sont mis très vite et se sont vite pris au jeu, on a vite eu plus d’idées d’avancées que de temps pour les mettre en œuvre.
AGEELINK : D’autres découvertes positives ont émergées pour vous de ce projet ?
Anne-Lorraine Lacrépinière : Découvrir que tout le monde est innovant, si on lui laisse l’opportunité de l’être : je n’avais pas choisi l’équipe.
La découverte d’un facteur clef de succès de la transformation des organisations : le plateau projet était localisé en plein Paris, cela a aussi joué en notre faveur. Le plateau a évolué progressivement de 5 à 300 personnes dont 50 sur le projet tracing. On a beau avoir des outils de communication à distance, ils marchent d’autant mieux que le lien humain est établi, surtout quand on a pour enjeu la transformation de l’organisation.
« Nous avons créé beaucoup de ponts au sein de l’organisation et tout finissait par revenir à nous. A tel point qu’à la fin de ma mission quand j’ai demandé le nom du contact sensé s’occuper d’un point connexe au projet on m’a donné mon propre nom ! »
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